Zoom sur le retrait/ gonflement des argiles
Les mouvements de sol induits par le retrait-gonflement des argiles sont peu spectaculaires et ne menacent pas la vie humaine. Ils n’en constituent pas moins un risque majeur à l’échelle nationale au regard de l’importance des dégâts au bâti qu’ils génèrent chaque année sur le territoire national et de l’impact financier pour la société (2ème poste d’indemnisation derrière les inondations au titre de la loi sur les catastrophes naturelles). Compte-tenu notamment du contexte géologique dans lequel elle s’inscrit, la Nouvelle-Aquitaine constitue une des régions métropolitaines les plus affectées par le phénomène. On peut en outre craindre qu’à plus ou moins court terme, le changement climatique se traduise par une aggravation des manifestations.
Le phénomène de retrait-gonflement des argiles fait partie des mouvements de terrain lents, comme par exemple certains glissements ou encore les affaissements liés à la présence de cavités ou les tassements. Certains sols argileux possèdent la propriété de voir leur consistance et leur volume se modifier en fonction de leur teneur en eau. Ainsi, lorsque celle-ci augmente dans un sol argileux (le plus classiquement à la suite de fortes précipitations), on assiste à une augmentation du volume de ce sol, on parle alors de « gonflement des argiles ». Au contraire, une réduction significative de la teneur en eau entrainera un phénomène de rétractation ou « retrait des argiles ». Ce phénomène d’alternance de retrait et de gonflement du sol s’accentue lorsque les circulations d’eau dans le sol se trouvent perturbées ou amplifiées, du fait notamment des activités humaines (drainage, pompage, fuites de canalisation, plantation, imperméabilisation). Le retrait-gonflement des argiles correspond ainsi à un phénomène d’origine climatique, conditionné par la constitution de la tranche superficielle du sous-sol (soumis aux variations des agents météorologiques) et dont les conséquences peuvent être amplifiées par les aménagements humains. Ces conséquences sont par ailleurs potentiellement d’autant plus fortes que l’amplitude entre périodes arrosées et périodes sèches est forte.
On distinguera ainsi dans les facteurs intervenant dans le phénomène, les facteurs de prédisposition (de nature à induire la manifestation) et les facteurs de déclenchement (qui n’ont d’effets significatifs que s’il existe des facteurs de prédisposition sont présents) :
- Les facteurs de prédisposition :
- La nature du sol (présence ou non de matériaux argileux gonflants, épaisseur et continuité de l’horizon argileux) ;
- Le contexte hydrogéologique (présence éventuelle et battance d’une nappe phréatique, existence de circulations souterraines temporaires) ;
- La géomorphologie (variation latérale et verticale de constitution du sous-sol, présence d’une pente, orientation du terrain) ;
- La végétation (favorisant l’évapo-transpiration) ;
- Les défauts de construction (défauts de fondation, insuffisance de chaînage, etc.).
- Les facteurs de déclenchement :
- Les conditions climatiques ;
- Les facteurs anthropiques (fuite de canalisation, imperméabilisation des sols, etc.).
Sous climat tempéré comme celui auquel la France métropolitaine est soumis, les sols sont généralement proches de la saturation, hydratés par des précipitations régulières. Les épisodes de sécheresse, caractérisés par des températures élevées, un déficit pluviométrique et une très forte évapotranspiration, ont pour répercussion immédiate d’assécher les sols. L’alternance sécheresse-réhydratation des sols entraine localement des variations de volume, hétérogènes au niveau des terrains d’assise des bâtiments et se traduisant notamment par des désordres affectant principalement le bâti individuel. Les maisons individuelles sont particulièrement vulnérables au phénomène pour deux principales raisons :
- la structure de ces bâtiments, légers, peu rigides et souvent de plain-pied, mais surtout fondés de manière relativement superficielle par rapport à des immeubles collectifs, les rend très sensibles à des mouvements du sol d’assise ;
- contrairement au bâti collectif, la plupart des constructions individuelles sont réalisées sans étude géotechnique préalable qui permettrait notamment d’identifier la présence éventuelle d’argile gonflante et de concevoir le bâtiment en prenant en compte le risque associé ;
Les mouvements différentiels se traduisent classiquement par des fissurations en façade, souvent obliques et passant préférentiellement par les points de faiblesse que constituent les ouvertures. Les désordres se manifestent aussi par des décollements entre éléments jointifs (extensions, garages, perrons, terrasses), ainsi que par une distorsion des portes et fenêtres, une dislocation des dallages et des cloisons et, parfois, la rupture de canalisations enterrées. Les tassements différentiels, et les désordres qu’ils occasionnent, sont amplifiés en cas d’hétérogénéité du sol ou lorsque les profondeurs de fondation sont différentes d’un point à un autre du bâtiment (cas des sous-sols partiels ou des constructions édifiées sur un terrain en pente).
Depuis la vague de sécheresse des années 1989-91, le phénomène de retrait-gonflement a été intégré au régime des catastrophes naturelles mis en place par la loi du 13 juillet 1982. Il est devenu la deuxième cause d’indemnisation derrière les inondations, étant à l’origine de 20% des arrêtés de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle et de 38% des coûts d’indemnisation. Le coût d’indemnisation moyen par sinistre « sécheresse » dépasse 12 000 €, soit le triple du montant tous périls confondus. La sécheresse exceptionnelle de 2003 a touché plus de 4500 communes pour une coût global dépassant 1 milliard d’euros (en euros courants). Entre 1982 et 2015, environ un quart des communes françaises ont fait l’objet au moins une fois d’une constatation de l’état de catastrophes naturelles (Cat-Nat) au titre « des dommages causés par les mouvements de terrain différentiels consécutifs à la sécheresse et à la réhydratation des sols » (source : Commissariat général au développement durable).
Dans le cadre de sa mission de service public et mandaté par le Ministère de l’Écologie, le BRGM a mené un programme national de cartographie de l’aléa retrait-gonflement des argiles. Ce programme qui s’est achevé en 2010 à l’issue de plus d’une décennie d’études, a conduit à doter chaque département d’une carte d’aléas à l’échelle 1/50 000 répertoriant les zones exposées au phénomène. Cette analyse de l’exposition du territoire s’appuie sur le croisement entre la susceptibilité du sol au phénomène (critères géologiques) et la sinistralité.
Les disparités territoriales de l’exposition au retrait-gonflement des argiles reflètent la forte diversité géologique du pays. La Nouvelle-Aquitaine constitue, avec le Centre-Val de Loire, l’Ile-de-France et l’Occitanie, parmi les régions les plus exposées au phénomène. Ainsi selon le Commissariat général au développement durable :
- la Nouvelle-Aquitaine et l’Ile-de-France concentrent ensemble un peu moins d’un tiers des maisons individuelles situées en aléa fort ou moyen à l’échelle nationale (1,3 millions de constructions) ;
- le département de la Gironde compte parmi onze départements recensant plus de 100 000 maisons individuelles en aléa fort ou moyen ;
- la Nouvelle–Aquitaine, avec l’Occitanie, concentre un grand nombre de pôles urbains fortement vulnérables (densité de maisons individuelles et part du territoire en aléa fort ou moyen élevées, de l’ordre du double de la moyenne métropolitaine). Ces communes très vulnérables témoignent d’une surreprésentation de campagnes dynamiques proches de villes et d’espaces à forte croissance résidentielle.
Depuis une dizaine d’années (voire plus) que ces cartes départementales ont été produites, plusieurs épisodes météorologiques particuliers (à l’image de la sécheresse de 2003 ayant généré de nombreux désordres au bâti) ont entrainé un accroissement significatif des zones sinistrées, tandis qu’en parallèle la connaissance en géologique de surface a été sensiblement améliorée.
Le BRGM a développé un modèle, à l’échelle nationale, de coût des dommages liés au retrait-gonflement des argiles qui intègre les projections climatiques effectuées par Météo-France sur la base des scénarios du GIEC (projet ClimSec) ainsi que les prospectives démographiques et socio-économiques publiées lors du projet Explore 2070 (Elaboration et évaluation des stratégies d’adaptation au changement climatique en France face à l’évolution des hydrosystèmes et des milieux côtiers à l’horizon 2050-2070 – Ministère de l’Ecologie, du Développement Durable et de l’Energie, 2012) . Ce modèle laisse apparaitre que l’impact du changement climatique sur la sinistralité causée par la sécheresse géotechnique pourrait se traduire, selon les hypothèses prises en compte) par une multiplication du coût des dommages par 1,5 à 2,5 (Impact du Changement climatique sur la sinistralité due au retrait-gonflement des argiles – Plat, Gourdier, BRGM).
Selon une étude de l’Association Française des Assureurs (Risques Climatiques : quel impact sur l’assurance contre les aléas naturels à l’horizon 2040 ? https://www.ffa-assurance.fr/la-federation/publications/enjeux-climatiques/etude-changement-climatique-et-assurance-horizon-2040), le cumul des indemnisations versées par les assureurs sur la période 1988-2013 pour le péril « sécheresse » est de 7,6 milliards d’euros (16% du total des indemnisations pour l’ensemble des aléas naturels). Il serait de 21 milliards d’euros sur la période 2014-2039, correspondant ainsi à un triplement de la charge annuelle moyenne aujourd’hui constatée pour ce péril. La part du changement climatique dans cette évolution a été évaluée à 60%.
Ces prévisions rendent d’autant plus nécessaires la généralisation de mesures préventives visant à une anticipation des risques et si nécessaire à une adaptation du projet aux caractéristiques du sous-sol. Pour un nouveau projet de construction individuelle en zone sujette au phénomène, il est recommandé d’effectuer une étude géotechnique spécifique qui précisera l’exposition du projet et définira les mesures (constructives et autres) permettant de limiter le risque de survenue de désordres. Des mesures préventives simples peuvent en effet être prises afin de construire une maison en toute sécurité. Ces mesures portent notamment sur les principaux points suivants :
- Les fondations doivent être suffisamment profondes et ancrées de manière homogène afin de s’affranchir de la zone la plus superficielle du sol, sensible à l’évapotranspiration et donc susceptible de connaître les plus grandes variations de volumes ;
- La structure du bâtiment : afin de résister à la force des mouvements verticaux et horizontaux, les murs de l’habitation peuvent être renforcés par des chaînages internes renforçant ainsi sa structure ;
- Éloigner les sources d’humidité : on considère comme mesure préventive efficace, la mise à distance de l’habitation de toute zone humide ainsi que d’éléments tels que les arbres, des drains et autres matériels de pompage. La pose d’une géomembrane isolant le bâtiment du sol de manière à s’affranchir du phénomène saisonnier d’évapotranspiration est également recommandée. Il est par ailleurs important que les canalisations d’eau enterrées puissent subir des mouvements différentiels sans risque de rompre, ce qui suppose le recours à des systèmes non rigides.
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