Submersion marine
Les submersions marines sont des inondations temporaires par la mer de la zone côtière lors de conditions météorologiques et océaniques défavorables. Ces phénomènes étant généralement dus à des surélévations du niveau marin, les zones de topographie basses sont par définition les plus sensibles (lagunes, marais, estuaires …).
En Nouvelle-Aquitaine, les secteurs les plus concernés sont les Pertuis Charentais et le pourtour du Bassin d’Arcachon. D’autres secteurs, essentiellement les zones basses estuariennes (certains de la Gironde, de l’Adour, des courants landais…) ainsi que certaines plages de l’Ile de Ré, de l’Ile d’Oléron, ou au Pays basque (Grande Plage de Biarritz, Saint-Jean-de-Luz, Hendaye…) ont connu dans leur histoire récente des évènements importants.
Les épisodes de tempête entraînent des surélévations du niveau de la mer qui s’ajoutent temporairement aux fluctuations du niveau d’eau d’origine astronomique (marées). Ces composantes principales sont (Figure 1) :
- la surcote atmosphérique qui est une surélévation du niveau d’eau générée par (i) la chute de la pression atmosphérique (effet de baromètre inverse : 1cm d’élévation du niveau d’eau pour ≈1 hPa de diminution de pression) et (ii) les courants induits par les vents d’afflux poussant les masses d’eau vers la côte ;
- la surcote de vague « wave setup » qui est une surélévation générée par le déferlement des vagues dans le secteur proche côtier.
- le jet de rive (flux et reflux des vagues à la côte) caractérisé par des variations instantanées du niveau d’eau à la cote.
Différents « types » de submersions
Lors des tempêtes et en fonction de l’exposition de la côte (caractéristiques géomorphologiques), on peut ainsi observer différents types de submersion provoquée par :
- des franchissements par paquets de mer, correspondant au passage des vagues par-dessus les défenses côtières (naturelles ou artificielles), l’accumulation d’eau résultante peut s’avérer importante selon l’ampleur des franchissements, leur durée et le linéaire concerné ; le franchissement est conditionné par la position du plan d’eau (niveau statique) par rapport à la cote maximale du terrain naturel ou des ouvrages de protection, et par les caractéristiques locales des vagues (hauteurs et périodes) ;
- des débordements, correspondant à une élévation du niveau d’eau statique (ou niveau moyen avec la surcote des vagues) au-dessus de la cote maximale du terrain naturel ou des ouvrages de protection ; il entraîne un déversement direct d’importantes quantités d’eau à terre ; les volumes d’eau mis en jeu (et donc les conséquences du phénomène) dépendent de l’écart entre le niveau d’eau et celui de la cote maximale du terrain naturel ou des ouvrages de protection, de la durée du débordement et de la vitesse de l’écoulement ;
- la rupture de structures de protection (ouvrages ou cordons dunaires) est causée par l’action répétée des vagues et/ou la surverse. Les structures de protection peuvent être alors endommagées progressivement ou brutalement, et des brèches ou une défaillance généralisée peuvent se produire, provoquant le passage à un régime particulier de débordement.
Une vidéo pédagogique sur les processus et leurs impacts : https://www.youtube.com/watch?v=yNwQC1EzegQ
Un processus évolutif lors d’une tempête
Un épisode de submersion peut résulter de la succession de ces différents processus, voire de leur occurrence simultanée, en des endroits différents du front de mer. Lors de tempêtes, on assiste généralement à une montée progressive du niveau moyen (ou statique) et à un renforcement de l’intensité des vagues (Temps 1, Figure 2). Ces conditions peuvent induire différentes phases susceptibles d’engendrer des impacts plus ou moins importants en termes de submersion.
Au-delà d’une certaine intensité (surcote atmosphérique et vagues), on peut observer des franchissements par paquets de mer. La submersion associée reste en général limitée (Temps 2). Si le niveau statique continue à s’élever et dépasse la cote maximale des défenses côtières, la submersion passe alors en régime de débordement (Temps 3A). Lorsque le niveau statique diminue du fait de la marée et/ou de la baisse de la surcote, on peut observer, suivant la configuration, une « vidange » partielle de l’eau accumulée à terre vers la mer ou de nouveaux franchissements jusqu’à ce que les conditions d’agitation en mer diminuent (Temps 3B). En cas de rupture d’un ouvrage de protection, il peut y avoir submersion par débordement alors que le niveau statique ne dépasse pas la cote maximale de l’ouvrage avant rupture (Temps 3C).
Un contexte
La prise de conscience de la vulnérabilité croissante des villes côtières aux tempêtes et aux effets attendus du réchauffement climatique conduit à de plus en plus d’études portant sur les risques d’inondations dans les zones côtières. Ces études concluent souvent qu’une élévation même relativement légère du niveau moyen de la mer sera susceptible de modifier l’aléa et donc l’exposition des sociétés. Dans les zones qui ne sont pas aujourd’hui exposées, des submersions au moins par franchissement (en lien également avec les processus d’érosion) pourraient apparaître. Sur les linéaires de côte aujourd’hui où le risque est actuellement gérable, des évènements relativement fréquents seraient susceptibles d’entraîner des situations aux conséquences lourdes. Les études en la matière montrent que sur de nombreuses côtes basses un » point de bascule » est susceptible d’être atteint avec une élévation moyenne du niveau de la mer de l’ordre de 0,5 m.
Le changement climatique affectera également la climatologie des vagues ainsi que l’intensité et la fréquence des événements extrêmes de vagues, de manière très diversifiée selon les façades maritimes. Les études récentes montrent que certaines zones comme le golfe de Gascogne seront relativement épargnées par ces modifications. Toutefois, on observe sur la période récente que l’activité de tempête hivernale connaît des variabilités de plus en plus importantes d’une année sur l’autre (Castelle et al., 2018). Ceci se manifeste par des hivers extrêmement tempétueux (hiver 2013-2014, le plus énergétique depuis au moins 70 ans) suivis d’hivers particulièrement calmes. Ces évolutions, pourraient lors des hivers particulièrement intenses, augmenter les probabilités d’observer des situations propices aux submersions (concomitance entre période de forts coefficients de marée et période de tempête).
Approche de caractérisation de l’aléa
Plusieurs approches existent pour caractériser la submersion marine. Compte-tenu des éléments historiques, de l’exposition du site, de ses particularités morphologiques ou du besoin de résolution spatiale, la qualification de l’aléa submersion marine peut exiger des approches plus ou moins élaborées et contraignantes en terme d’outils.
Méthode de croisement « topographie / niveau marin »
Sur les terrains très exposés aux vagues pouvant être inondés successivement ou simultanément par franchissement et débordement et/ou lorsque la résolution attendue est faible, la cartographie des submersions par des méthodes simples (recoupement de la topographie et du niveau de la mer) est souvent réalisée en première intention. Elle présente toutefois de nombreuses limites, ne tenant pas compte par exemple du rôle des ouvrages de protection (digues, murets de front de mer …), ne faisant pas d’hypothèse sur les volumes d’eau débordant ou encore ne prenant pas en compte l’occupation du sol et ses effets sur la propagation des inondations (zones urbaines, végétation …).
Méthodes de modélisation numérique
Avec l’évolution des moyens numériques et le développement des outils dédiés, la modélisation numérique « haute résolution » (de l’ordre de 1 à 10 m) est devenue l’approche privilégiée pour caractériser les risques d’inondation dans les sites les plus exposés et les plus vulnérables (Figure 3). Les modèles d’inondation par débordement sont capables de représenter l’étendue des inondations de façon relativement précise en contextes fluviaux, côtiers et estuariens et reposent habituellement sur des méthodes physiques et numériques éprouvées.
Les modèles simulant le franchissement sont beaucoup plus récents et nécessitent encore d’importants travaux de recherche. Au cours des dernières années, plusieurs modèles capables de représenter les processus associés aux franchissements des vagues ont été élaborés et appliqués pour traiter les risques de submersions marines. Ces modèles sont capables, moyennant de lourds efforts numériques, de reproduire la dynamique de tempête et les volumes franchissant avec un degré de fiabilité approprié pour les études sur les submersions marines. Dans l’exemple ci-dessous (Figure 4), la modélisation du clapot sur un profil dans le fond du bassin d’Arcachon montre des franchissements de paquets de mer. Ces franchissements dépassent ici une première ligne de protection (perré de front de mer) et s’accumulent mais ne franchissent que très faiblement une deuxième ligne.
La tempête Xynthia l’évènement historique récent de référence sur la côte de la Nouvelle-Aquitaine
La tempête récente la plus impactante en termes de submersion marine sur les littoraux métropolitains et particulièrement en Nouvelle-Aquitaine est la tempête Xynthia. Le centre dépressionnaire de cette tempête a frappé directement (les 27 et 28 Février 2010), une large bande de territoire allant de la Charente-Maritime aux Ardennes, a occasionné de nombreux décès (53 morts recensés en France) et de lourds dégâts matériels. Les dégâts occasionnés sur le littoral ont affecté à des degrés divers l’ensemble des côtes du sud de la Bretagne au Pays Basque.
La raison principale du très fort impact en termes de submersion de la tempête Xynthia est son passage sur la côte en concomitance avec une marée haute de fort coefficient (coefficient 102). Les niveaux d’eau atteints (notamment enregistrés dans les ports, par exemple La Rochelle, Sable d’Olonne, Saint Nazaire …) ont été nettement supérieurs aux observations historiques, témoignant d’un évènement au caractère exceptionnel.
Les vagues dont la hauteur significative était de l’ordre de 6 à 8 m au large ont joué un rôle important dans les niveaux atteints à la côte notamment au travers du processus de wave setup (surélévation du plan d’eau lié au déferlement des vagues à la côte). Ce processus a entrainé en plus des contributions météorologiques (pression atmosphérique, vent), une surélévation supplémentaire de plusieurs dizaines de centimètre.
C’est en Charente-Maritime que les impacts les plus importants ont eu lieu et que les niveaux les plus hauts ont été enregistrés (Figure 5). Ainsi, la surcote totale enregistrée au port de La Rochelle était de 1,50 m.
Les processus de submersion observés lors de cet évènement ont été de toutes natures, du franchissement sur certains secteurs, à des débordements généralisés en passant par des ruptures d’ouvrages de protection (Figure 6).
Situé plus au sud de la trajectoire du centre dépressionnaire, le bassin d’Arcachon a également connu des inondations significatives (Figure 7). La surcote y était moins importante, de l’ordre de 0,90 m. Cet évènement est toutefois l’évènement historique récent le plus impactant sur le bassin d’Arcachon et pour lequel on dispose d’une cartographie précise des impacts (BRGM/RP-64807-FR) : http://www.gironde.gouv.fr/content/download/35605/249419/file/PPRSMBA_Alea_Rapport-final_BRGM_RP-64807-FR.pdf
Références
- Castelle B, Dodet G, Masselink G, Scott T., 2018. Increased winter-mean wave height, variability, and periodicity in the Northeast Atlantic over 1949–2017. Geophysical Research Letters, 45(8): 3586–3596.
- Bertin, X., Li, K., Roland, A., Zhang, Y.J., Breilh, J.-F., Chaumillon, E., 2014. A modeling-based analysis of the flooding associated with Xynthia, central Bay of Biscay. Coastal Engineering, 94, 80-89.
- BRGM/RP-58261-FR (2010) – Tempête Xynthia : compte rendu de mission préliminaire. 45p.
- BRGM/RP-64807-FR (2016) – Caractérisation de l’aléa submersion marine dans le cadre des PPRL du Bassin d’Arcachon, 122p.