Risques – Nouvelle-Aquitaine : Les instabilités en milieu karstique sous-couverture : des phénomènes aussi peu connus que fréquents au cœur de la Nouvelle-Aquitaine.
Cavités souterraines, Mouvements de terrain, Risques naturels
30/10/2020
Dans le domaine des risques naturels, la présence d’un milieu karstique est souvent sujet à l’aléa mouvements de terrain. Ce type d’environnement s’identifie bien dans le paysage lorsqu’il se développe en surface et sur des épaisseurs significatives. Toutefois, des niveaux géologiques karstifiés de quelques mètres d’épaisseur existent sous couverture sédimentaire. Mal identifiés, ils peuvent entrainer de graves désordres pour le bâti et les infrastructures.
Le karst est un objet très peu connu du sous-sol. On ignore même parfois son existence ainsi que les phénomènes géologiques qui ont conduit à sa genèse. Si certains objets spectaculaires qui lui sont associés, comme la présence de grottes ou de gouffres, sont largement connus, la survenue en surface d’instabilités liés à leur présence dans le proche sous-sol n’est pas une notion évidente à appréhender.
La grotte de Sare dans les Pyrénées-Atlantiques est le témoignage en surface d’un milieu karstique dans le sous-sol (photo Wikipédia)
Au cœur de la Nouvelle-Aquitaine, de nombreux karsts assez peu épais issus des formations marines du Tertiaire sont présents sous-couverture sédimentaire, à quelques mètres de profondeurs, cachés sous nos pieds. La circulation d’eau dans ces « boyaux » peut alors entrainer une partie des grains (sables, fines, etc.) provenant des formations géologiques sus-jacentes. Dans de nombreux cas, ces karsts se retrouvent au-dessus du niveau de la nappe d’eau et n’entrainement pas nécessairement d’instabilités en surface. Pourtant, lors d’épisodes pluvieux et/ou de crues de rivières, l’entrainement soudain des particules, par infiltration et/ou par drainance, peut engendrer la survenue de mouvements de terrains assez soudains en surface.
Les milieux karstiques : origine, phénomènes observés et contextes géologiques associés
L’origine du karst et de la karstification
Le karst est défini selon une vision géomorphologique et hydrogéologique. Il désigne ainsi un type de paysage particulier, comprenant des formes superficielles et souterraines résultant de la karstification, c’est-à-dire la dissolution par la circulation d’eau des roches carbonatées. Il s’agit d’un ensemble de processus évolutifs complexes, associant des altérations physico-chimiques et mécaniques, qui élargissent les vides initiaux de la roche encaissante et établit progressivement une structure de drainage organisée le long de chemins préférentiels d’écoulement (discontinuités géologiques : failles, fractures, etc.).
Dans le domaine des risques naturels, la présence d’un milieu karstique est souvent sujet à l’aléa mouvements de terrain. Ce type d’environnement s’identifie bien dans le paysage lorsqu’il se développe en surface et sur des épaisseurs significatives. Toutefois, des niveaux géologiques karstifiés de quelques mètres d’épaisseur existent sous couverture sédimentaire. Mal identifiés, ils peuvent entraîner de graves désordres pour le bâti et les infrastructures.
Un exemple de modelé karstique : le relief de type « causse »
Des exemples aquitains de formations géologiques karstifiées sont présentées dans les photographies ci-dessous.
Photographies présentant des formations géologiques karstifiées en Aquitaine (en haut : le Coniacien de Dordogne ; et en bas : l’Oligocène de l’Entre-deux-Mers)
Localisation des principaux systèmes karstiques en Nouvelle-Aquitaine
Bien que pas nécessairement karstifiée, toute roche carbonatée est potentiellement karstifiable. On peut alors trouver des milieux karstiques partout où les roches carbonatées sont à l’affleurement ou sous recouvrement. Des cavités ont pu être détectées sous la rive gauche de la Garonne par exemple, mais elles restent inaccessibles puisqu’elles sont recouvertes par d’autres formations.
La carte ci-dessous présente les formations karstifiables sur le territoire national.
Carte de la France des formations et domaines géologiques karstifiables (Marsaud, 1997)
Ainsi, le Bassin aquitain renferme plusieurs systèmes karstiques qui se distinguent par leur genèse ou leur géométrie :
1. Les karsts de Montagne (ici les Pyrénées) : ils correspondent souvent à des massifs isolés, constitués de séries calcaires puissantes, portées en altitude. Ces karsts sont les plus évolutifs et montrent les gouffres les plus profonds et les réseaux les plus développés (Nicod, 1995) ;
2. Les karsts de structures anticlinales (ex : Audignon, Roquefort, …) : l’histoire souvent complexe autour de ces structures rend souvent leurs géométries difficiles à appréhender ;
3. Les formations carbonatées du Secondaire (Jurassique et Crétacé) : ils se trouvent en bordure du Massif Central et du Massif armoricain (ici le Quercy, le Périgord, les Charentes). Présentes à l’affleurement, elle se retrouvent sous couverture par plongement progressif vers l’Ouest et la façade atlantique ;
4. Les Karsts des calcaires tertiaires à l’affleurement et sous couverture (Entre-deux-Mers, …) : ils peuvent constituer des systèmes karstiques différenciés généralement de faible puissance en fonction du potentiel hydraulique et du décapage de la couverture imperméable, notamment de la molasse de l’Agenais.
Les deux premiers grands systèmes présentés ci-dessus présentent souvent des géométries complexes mais sont généralement circonscris dans des secteurs identifiés : zones de montages, structures anticlinales, etc. Les systèmes karstiques issues des formations carbonatées du secondaire et du tertiaire sont réparties de manière beaucoup plus étendue sur le territoire.
Situées au cœur de la Nouvelle-Aquitaine, certaines formations calcaires de faibles épaisseurs sont connues pour leurs propriétés karstiques. La carte de localisation proposée ci-dessous présente une répartition géographique approximative et sectorielle de ces formations carbonatées. Elles peuvent être recouvertes par des formations sédimentaires plus récentes (formations molassiques, alluvionnaires, fluviatiles, etc.), plus ou moins cohésives et ne sont donc pas toujours bien identifiées sur la carte géologique.
Carte de localisation approximative des karsts tertiaires rarement à l’affleurement et le plus sous une couverture sédimentaire imperméable (SIGES Aquitaine)
Les dolines et fontis naturels : instabilités liées à la présence d’un milieu karstique
Dolines et fontis naturels en milieu karstique
Le terme de Doline est employé pour désigner une dépression circulaire liée à la présence d’un milieu karstique. C’est une forme géomorphologique qui est acquise au fil du temps. Un fontis fait référence à l’apparition d’un effondrement plutôt soudain au toit d’une cavité ou d’une galerie souterraine, naturelle ou non. Les phénomènes liés à la présence de cavités anthropiques ne sont pas exposés ici.
Les facteurs à l’origine de la genèse des dolines et des fontis naturels sont les mêmes que ceux permettant la karstification des formations carbonatées en général. L’eau s’infiltre par les fissures et les fentes de la roche puis, par dissolution, les fissures s’élargissent : un tassement de la surface se produit et crée une dépression fermée, donnant naissance à une doline de dimensions généralement comprises entre 2 et 50 m, à la fois en largeur et en profondeur.
Les dolines de développent à la faveur d’un réseau karstifié actif présent dans le sous-sol. Elles peuvent être classées selon plusieurs groupes, chacun possédant son propre mécanisme de formation.
Classification des différents types de dolines se développant en contexte de roches solubles (Waltham et Fookes)
Le karst sous couverture : un risque d’instabilité pas toujours bien identifié
Des dolines de subsidence peuvent apparaitre lorsqu’un sol meuble recouvre un réseau karstique actif. Selon la nature plus ou moins cohésive de la couverture, la géométrie d’une Doline peut varier. Il peut alors se créer une doline de suffosion si la couverture est de nature sableuse ou bien une doline d’effondrement en présence de formations argileuses plus cohésives.
Lorsque le réseau karstique est peu développé ou sur de faibles épaisseurs, la présence de Dolines n’est pas nécessairement observée. La présence d’une couverture sédimentaire peut également limiter la possibilité de constater formellement la présence d’un karst. Dans ce cas, le moyen de l’identifier est de disposer d’informations sur le développement de fontis naturels dans le secteur que l’on étudie, que l’on observe. S’ils peuvent demeurer parfois peu fréquents dans certains secteurs et par la même occasion être gommés dans la mémoire de la population, l’occurrence de mouvements de terrain ne peut cependant être exclue.
Fonctionnement général d’un karst sous couverture vis-à-vis des instabilités qu’il peut générer
Lorsqu’un karst est actif, c’est-à-dire que les phénomènes de dissolution et/ou de précipitation y sont générés, la circulation d’eau peut provoquer un entrainement des particules, grains de sables ou d’argiles vers les drains ou « boyaux » karstiques. Ce soutirage des particules peut se produire sur une épaisseur de plusieurs mètres.
Dans ces conditions de drainage, avec les possibilités d’évacuation par transport des particules du sol de couverture, un affaissement plus ou moins important du sol va pouvoir être entraîné à terme en surface et ainsi être à l’origine de mouvements de terrains.
Principe schématique général du phénomène de soutirage entrainant les particules des formations superficielles de couvertures et aboutissant à la formation de dolines en surface (Gutierrez T., 2011 – Rapport BRGM RP-59804-FR)
Principe schématique plus localisé du phénomène de soutirage et de drainage à l’interface entre des formations perméables et imperméables (Gutierrez T., 2011 – Rapport BRGM RP-59426-FR)
Les deux exemples proposés ci-dessus exposent le principe des phénomènes qui peuvent être mis en jeux lors de la formation de dolines ou de fontis naturels dans un milieu karstique sous couverture. Toutefois, une circulation d’eau active est nécessaire pour favoriser le soutirage des particules et leur entrainement vers un exutoire en aval.
Photographies prises d’un effondrement lié à la présence d’un karst sous-couverture sur la commune de Belvès (note BRGM n°08 AQI 15 – juillet 2008)
Photographies prises d’un effondrement lié à la présence d’un karst sous-couverture sur la commune de Pessac (rapport d’expertise BRGM/RP-59297-FR)
Au plus proche de la surface, les niveaux karstiques se trouvent la plupart du temps au-dessus du niveau de la nappe d’eau. Dans ce cas, le phénomène de soutirage est lent voir nul et n’entraîne pas nécessairement d’instabilités jusqu’en surface. Cependant, l’entrainement des particules peu s’accélérer par infiltration ou par drainance comme par exemple lors d’un épisode pluvieux ou d’une remontée de la nappe (d’une crue si c’est à proximité d’une rivière). La survenue d’un mouvement de terrain peut dans ce cas se produire de manière soudaine et brutale.
Les karsts sont parfois situés sous le niveau de la nappe d’eau, comme par exemple lorsque celle-ci est à faible profondeur ou que l’épaisseur de la couverture est importante. Dans ce cas, les pressions peuvent suffire à ce qu’il n’y ait pas ou très peu d’entrainement de particules. A contrario, lorsque les karsts sont en situation de dénoyage, c’est-à-dire que la charge piézométrique diminue, un entrainement de particules peut se produire. Les zones de battements des nappes peuvent donc être particulièrement vulnérables à ce type d’évènement.
Lorsque la couverture géologique est nettement plus épaisse (> 10 à 20 m, voire plus selon les cas), les phénomènes de soutirages et de décompression du sol n’atteignent plus la surface.
Pompage de l’eau souterraine : un facteur aggravant au risque d’instabilité karstique sous couverture en l’absence de contrôle
La mise en exploitation d’une nappe d’eau souterraine peut entraîner des perturbations dans l’environnement du ou des forages concernés. Il peut s’agir notamment d’une modification des conditions hydrauliques, de rabattements localisés, de la création d’un courant circulatoire, etc. Dans certains cas il se peut alors qu’un soutirage prononcé puisse engendrer une propagation de la décompression du sol sur des épaisseurs non négligeables et atteindre la surface.
En l’absence de précautions adaptées lors de la réalisation d’ouvrages de ce type (étanchéité, développement du forage, etc.), le risque de survenue d’un effondrement localisé lié à l’exploitation d’un niveau karstifié sous couverture ne peut donc être écarté.
Coupes schématiques au droit d’un forage d’exploitation avec à gauche : état initial et à droite : état final en l’absence de précautions adaptées.
Les précipitations exceptionnelles des 10 et 11 mai 2020 : exemple d’un épisode propice au développement d’instabilités liées aux karsts
Entre le 10/05/2020 et le 11/05/2020, des pluies exceptionnelles se sont abattues dans le département des Landes et de la Gironde, avec un total cumulé de 140 mm. Cette forte pluviométrie correspond à un phénomène d’occurrence centennal.
Ces pluies intenses sur une longue durée de 36 heures ont été lourdes de conséquences sur ces 2 départements. De nombreux cours d’eau sont entrés en crues provoquant des dégâts très importants. On déplore des coupures d’une cinquantaine de routes, des caves inondées, écoles fermées et sous l’eau, habitations inondées, routes arrachées, villes inondées avec des hauteurs d’eau importantes. Il a été comptabilisé 600 interventions de pompiers.
Pour plus d’information sur cet évènement, voir l’article dédié sur le site de l’ORNNA.
Au cours de cet évènement météorologique et pendant les quelques jours qui l’ont suivi jusqu’à la décrue, des fontis sont apparus dans les départements concernés. D’amplitudes et de tailles plus ou moins importantes (diamètre, profondeur, etc.), le lien de ces mouvements de terrain avec les conditions météorologiques est avéré mais ils sont la conséquence d’un phénomène d’effondrement karstique sous couverture.
Photographies d’effondrements observés dans l’Entre-deux-mers et dans le secteur des Graves suite aux précipitations exceptionnelles des 10 et 11 mai 2020
Que l’on soit dans le secteur de l’Entre-deux-Mers dans le secteur des Graves ou le Bazadais, etc., des niveaux carbonatés du Tertiaire présentent des indices de karstification. Il s’agit notamment du calcaire à Astéries de l’Oligocène et du grès carbonaté de Bazas du Miocène.
Le plus souvent, l’épaisseur de ces niveaux karstifiés n’excède pas quelques mètres. Ils sont localement rencontrés à faible profondeur, notamment dans les secteurs où ces effondrements localisés de type fontis naturels ont été identifiés.
Dans les constats qui ont été menés à l’occasion de ces évènements, on note parfois la présence d’alignements sur des directions structurales préférentielles (voir photo ci-après). Ces constatations sont parfois soulevées après recoupement entre récentes observations ou d’occurrences historiques plus anciennes. Ces alignements mettre en évidence la présente de drains majeurs au sein des séries carbonatées karstifiées.
Vue générale de deux effondrements situés sur la commune de Villandraut suite aux précipitations exceptionnelles des 10 et 11 mai 2020 – L’alignement observé souligne la présence d’un drain karstique localisé sous la surface
Vue générale de deux effondrements situés sur la commune de Belvès survenus le 10 juin 2008, suite à des épisodes pluvieux exceptionnels – L’alignement observé souligne la présence d’un drain karstique localisé sous la surface