Le littoral sableux au sud de l’estuaire de la Gironde : genèse et évolution

Evolution trait de côte

06/12/2018

Le littoral sableux aquitain s’étend sur 230 kilomètres de l’embouchure de la Gironde à la Pointe Saint-Martin à Anglet (64). L’Atlas morphodynamique de la côte sableuse aquitaine (Rapport BRGM/RP-67152-FR) propose une description du contexte géomorphologique, de sa nature intrinsèque jusqu’aux mécanismes responsables de son évolution.

De la Pointe de Grave au nord au Cap Saint-Martin au sud, la côte sableuse de l’ex-Aquitaine se distingue des autres littoraux français par la présence d’un massif dunaire exceptionnel, long de 230 km et large de 2 à 10 km, dont une majeure partie est boisée. L’embouchure du Bassin d’Arcachon, entre la Dune du Pilat et le Cap-Ferret constitue la principale échancrure dans ce cordon sableux quasi-rectiligne et légèrement incliné de 10° par rapport à l’axe nord-sud.

Vue aérienne vers le sud du littoral girondin (Crédit photographique : ©OCA, Olivier Chaldebas, ULM Sud Bassin)

 

Histoire géologique récente

Entre l’estuaire de la Gironde et celui de l’Adour, le littoral aquitain est constitué de formations géologiques récentes, d’âges tertiaire et quaternaire.

La formation de la chaîne des Pyrénées, au Crétacé supérieur, crée la limite sud du Bassin aquitain actuel. Ses limites nord et nord-est s’individualisent plus tard par la surrection tertiaire et plio-quaternaire du Massif Central et du Massif Armoricain. Son comblement est progressif, alimenté par les reliefs qui s’érodent à sa périphérie

Il y a 40 millions d’années, la mer occupe une vaste zone qui va de l’estuaire actuel de la Gironde jusqu’au pied des reliefs pyrénéens et au Pays Basque. Les reliefs régionaux sont constitués par des dorsales est-ouest qui correspondent à la partie supérieure des plis provoqués par une compression pyrénéenne persistante. Le golfe d’Aquitaine est alimenté par des fleuves qui arrivent de l’est et déposent dans la plaine littorale des sédiments sableux et argileux. La partie nord, moins affectée par la tectonique est le lieu d’une sédimentation de calcaires riches en fossiles, sous un climat de type tropical.

Le comblement du Bassin aquitain se poursuit pendant 30 millions d’années avec de nombreuses fluctuations de la position du rivage correspondant à des variations de température et du niveau marin. Pendant les périodes à dominante chaude et humide, des récifs coralliens se sont développés sur la plateforme. Des fleuves ont déposé dans des deltas des conglomérats, sables et vases.

Il y a 3 millions d’années, le littoral atteint approximativement sa position actuelle. Au sud-est, la progression de la sédimentation, qui forme progressivement le plateau de Lannemezan, comble le bassin. Le canyon de Capbreton, dont le creusement par des écoulements gravitaires à l’Éocène supérieur a probablement été favorisé et orienté par la présence de la faille nord-pyrénéenne, représente au Quaternaire le principal exutoire de l’Adour. Ce dernier est actuellement localisé plus au sud.

Il y a 18 000 ans, c’est le dernier maximum glaciaire du Quaternaire. L’eau des océans étant partiellement stockée dans les calottes glaciaires, les lignes de rivage ont régressé considérablement, découvrant une grande partie du plateau continental. Le gel a favorisé la fracturation et l’érosion des sédiments présents en surface. L’homme chassait déjà dans ces paysages de neige et de glace.

A l’heure actuelle, le Bassin aquitain est principalement constitué d’une immense étendue de sable (le triangle landais), résultat de l’érosion de la chaîne pyrénéenne, dont la surrection est toujours en cours. La répartition et la nature des sables dépendent de la dynamique fluviale, éolienne et océanique. Depuis la fin de la dernière période glaciaire et la remontée du niveau marin qui s’en est suivie, la ligne de rivage, concave vers l’océan, est principalement le résultat d’une longue période de façonnement par la houle et le vent.

 

Les grandes étapes du comblement du Bassin aquitain (d’après Tastet et Londeix, 2002)

 

Lithologie de la zone côtière

La zone côtière du Bassin aquitain est donc constituée de formations géologiques récentes, tertiaires et quaternaires. Le substratum marin, d’âge Oligocène (34-23,5 Ma) à Miocène (23,5-5,3 Ma) est couvert de sédiments en grande partie continentaux, d’âge plio-quaternaire (moins de 5 Ma).

Au cours du Miocène supérieur (11-5,3 Ma) et du Plio-pléistocène (1,65 Ma-10 000 ans B.P. [1]), le triangle landais a été progressivement comblé, de l’est vers l’ouest, par la progradation de dépôts alluviaux et lacustres recouverts ensuite d’un nappage éolien. On y reconnaît 5 séquences majeures de dépôt :

  • Formation des Sables fauves et des Glaises bigarrées (10 m d’épaisseur environ) : sables plus ou moins fins, ocre et blanchâtres, lignite (type Arjuzanx), argiles bariolées ;
  • Formation d’Arengosse inférieure dite Solférino (0-15 m) : sables et graviers roux, sables organiques brun foncé, lignite, argiles gris bleuté à marbrures rouille ;

[1] BP : pour Before Present, est une référence temporelle utilisée dans diverses disciplines scientifiques pour situer un événement dans le passé. Le présent a été arbitrairement fixé à l’année 1950.

  • Formation d’Arengosse supérieure dite Mézos (0-20 m) : sables et graviers blanchâtres kaoliniques, argiles silteuses kaoliniques blanchâtres à taches rouille, lignite, argiles grises et rouille à rares graviers emballés ;
  • Formation d’Onesse (quelques m à 30 m) : sables blanchâtres et graviers, silts et argiles gris sombre micacés, lignites (type Mimizan), argiles silteuses gris-bleuté ;
  • Formation du Sable des Landes s.l. (10-30 m) : sables grossiers blanchâtres fluviatiles (formation de Castets) éolisés au sommet (Sable des Landes s.s.), argiles gris sombres à débris organiques, argiles et sables gris.

 

Coupe litho-stratigraphique synthétique du Bassin aquitain

 

Au début de l’Holocène, à partir de 12 000 ans BP environ, la fin des dernières glaciations provoque une remontée du niveau marin C’est la transgression flandrienne, qui atteint son maximum aux environs de 6 500 ans B.P. et ennoie les vallées incisées à l’époque glaciaire. Celles-ci sont peu à peu comblées par des dépôts tout d’abord marins, puis, plus tard, fluvio-lacustres (~ 30 m). On associe à cette dernière phase la formation des marais et les tourbes des étangs recouvertes par les dunes éoliennes protohistoriques. A la fin de cette remontée, vers 6000 ans BP environ, quand le niveau marin s’est globalement stabilisé autour de sa position actuelle, que les plages contemporaines se sont formées sous l’action des vagues.

Morphologie actuelle du littoral sableux aquitain

Le littoral sableux aquitain tel que nous le connaissons aujourd’hui est composé de plages sableuses, dont les caractéristiques varient du nord au sud, et d’un cordon dunaire littoral non boisé. Vers les terres, le cordon littoral protège un arrière-pays constitué de dunes boisées, de zones relativement basses et de lacs. Vers le large, au-delà de l’avant-côte, le plateau continental est une vaste étendue sous-marine façonnée par les phénomènes eustatiques (cf. chapitres précédent) et les processus marins actuels. L’incision du plateau continental par un canyon (ou Gouf) au droit de Capbreton est remarquable. Entre les deux grands estuaires, la côte apparaît globalement rectiligne sur toute sa longueur. Par ailleurs, ce linéaire est interrompu au niveau du Bassin d’Arcachon puis, plus au sud, au niveau des petites embouchures des « courants » landais.

Au-delà du cordon littoral, les systèmes dunaires, pouvant former de grands massifs, sont présents dans tout l’arrière-pays de la côte aquitaine. Ces systèmes, larges de 0,2 à 10 km sont constitués par plusieurs types de dunes qui se sont formées il y a 4 000 ans, pour les plus anciennes, jusqu’au XIXème siècle pour les plus récentes. Quatre générations de dunes ont été identifiées au sein de la Dune du Pilat, témoignant de l’histoire complète des systèmes dunaires aquitains. A l’échelle régionale, seules les deux dernières générations sont représentées sur une majorité du littoral sableux aquitain.

Formation des dunes littorales d’Aquitaine, selon Barrère (1994)

 

Sur la plage et l’avant-côte, d’ouest en est, le profil morphologique transversal typique de la côte aquitaine est composé :

  • de l’avant-côte, qui est située entre le point limite d’action des vagues de tempête sur les fonds et les niveaux de pleines mers moyennes. Elle comprend généralement une ou plusieurs barres littorales. La partie inférieure de l’avant-côte est celle qui est soumise à la dynamique des tempêtes, mais qui n’est pas affectée lors de conditions moyennes. La partie supérieure contient le domaine intertidal ;
  • de la plage stricto sensu (domaine intertidal ou zone de battement des marées), comprise environ entre le pied de la berme et le pied de dune, avec généralement une légère pente orientée vers la terre ;
  • d’un cordon dunaire littoral, bourrelet sableux élevé par le vent à partir du sable de la plage et plus ou moins fixé par une végétation spécifique ;
  • d’un arrière-pays caractérisé par une zone d’arrière-dune non boisée, puis de dunes boisées.

 

Morphologie caractéristique du système côtier aquitain, de l’avant-côte à l’arrière-pays

 

L’avant-côte, la plage et le cordon dunaire sont trois éléments étroitement solidaires en termes de transferts sédimentaires ; ils forment le système côtier aquitain dont la morphologie évolue sous l’action des agents dynamiques météo-marins.

Les agents-dynamiques météo-marins : moteurs de l’évolution du littoral

L’évolution des côtes et des morphologies littorales est conditionnée par des agents dynamiques météo-marins, également appelés facteurs de forçage. Ils sont notamment responsables de l’érosion, du transport et du dépôt des sédiments présents sur le littoral. Ce sont eux qui vont façonner les morphologies côtières. Ces facteurs de forçage sont le vent, la marée, les vagues et plus globalement les variations du niveau de l’eau à différentes échelles temporelles.

Les vents interviennent à plusieurs titres dans l’évolution du littoral :

  • ils agitent la surface de l’océan et sont à l’origine de la formation des vagues ;
  • à la côte, l’orientation du vent joue un rôle significatif sur le déferlement des vagues et sur les phénomènes de surcote ;
  • ils transportent des quantités parfois importantes de sable sur l’estran à marée basse, au pied de la dune et sur la dune elle-même (transport éolien).

Sur la côte aquitaine, la marée est de type semi-diurne avec une période de 12h25’. Pour des marées de vives-eaux moyennes (coefficients de 95), le marnage moyen à la côte augmente du sud vers le nord, de 3,5 m à l’embouchure de l’Adour (Boucau-Bayonne) jusqu’à 4,4 m à celle de la Gironde (Verdon-sur-Mer) (SHOM, 2017). L’action de la marée sur la morphologie côtière est double :

  • elle modifie le niveau d’action des houles sur l’estran et module ainsi le temps d’action des processus hydrodynamiques sur le profil de plage ;
  • elle engendre d’importants courants alternatifs dans les zones d’embouchure (Gironde, Arcachon, Adour) qui peuvent ainsi constituer une véritable barrière hydraulique bloquant la dérive littorale des sédiments, le terme « d’épi hydraulique » est fréquemment employé pour caractériser ce phénomène.

Les variations de l’altitude du plan d’eau (marnage en association avec les surcotes) influent sur la morphologie et la largeur des plages. Elles contrôlent également le niveau maximum et la durée d’attaque des dunes par la houle.

Une surcote marine se définit comme l’excédent du signal de niveau d’eau par rapport à la marée prédite. Les surcotes sont dues à 3 phénomènes, dont les effets peuvent se cumuler : la diminution de la pression atmosphérique lors du passage d’une tempête (effet du baromètre inverse), l’accumulation d’eau près des côtes poussée par le vent, et le déferlement des vagues lorsque la profondeur diminue à l’approche de la côte qui génère une élévation du plan d’eau (wave setup). Au rivage, le jet de rive correspond aux oscillations du filet d’eau sur la plage lors du déferlement des vagues.

 

Principaux phénomènes physiques contrôlant le niveau d’eau (échelle du schéma non respectée)

 

L’arrivée des vagues sur le littoral constitue un apport d’énergie considérable, capable de transporter les sédiments et de faire évoluer rapidement les morphologies. Les vagues sont des oscillations qui affectent la surface de la mer. Elles sont générées par l’énergie du vent et entretenues par la pesanteur. Le fetch est la distance sur laquelle le vent agit sur le plan d’eau. Dans cette zone, les vagues sont d’abord désorganisées et forment le clapot ou mer du vent (période de l’ordre de 2 s à 5 s). La houle stricto sensu (période supérieure à 5 s) correspond aux oscillations suffisamment énergétiques pour se propager en dehors de la zone d’action du vent.

 

Définitions de la mer de vent et de la houle sensu-stricto (MEEDDM, 2010)

 

Les climats de houle et les vagues qui se propagent dans le Golfe de Gascogne et atteignent la côte définissent les états de mer. Pour décrire ces états de mer, le réseau Candhis (http://candhis.cetmef.developpement-durable.gouv.fr/) met à disposition, entre autres, des mesures des paramètres des vagues au droit de bouées. A la date de consultation du 5 janvier 2017, le site fournit une analyse sur les enregistrements de hauteur significative et de période de la houle, d’août 2001 à septembre 2016 à la bouée du Cap Ferret, située à 13 km à l’ouest de la côte et à 54 mètres au-dessus du plancher océanique.

La moyenne des hauteurs significatives (Hs ou H1/3 : moyenne du tiers supérieur des hauteurs des vagues) enregistrées par la bouée du Cap Ferret sur l’ensemble de la période 2001-2016 indique:

  • plus de 70 % des vagues sont inférieures ou égales à 2 m ;
  • environ 25% se situent entre 2 et 4 m ;
  • seulement 5% sont supérieures à 4 m.

La gamme des périodes des houles est de 4 à 16 s, avec plus de 80 % des périodes mesurées comprises entre 6,6 s et 12,1 s.

 

Les formes littorales sont construites, détruites ou modifiées par des processus qui agissent à différentes échelles de temps et d’espace. Le temps est en effet une dimension indispensable pour appréhender la morphodynamique côtière, puisqu’il traduit l’évolution du milieu. Il est donc étroitement lié à l’espace.

Cowell et Thom (1994) ont défini quatre domaines spatio-temporels d’évolution des morphologies littorales :

  • l’échelle de quelques secondes à plusieurs jours, dite du court terme, met en jeu des agents dynamiques, tels que les vagues et les marées. Elle s’applique par exemple aux évolutions des rides de plage ou à la migration des barres d’estran au cours d’un cycle de marée ;
  • l’échelle du moyen terme, de quelques jours à plusieurs années, comprend aussi bien des événements uniques, comme les tempêtes, mais aussi les variations environnementales saisonnières. Elle concerne la zone de déferlement jusqu’au haut de plage, ainsi que les systèmes de barres d’avant-plage. Les falaises taillées dans les dunes par les tempêtes ou bien le développement saisonnier de barres sableuses à l’entrée des estuaires doivent lui être rattachés ;
  • l’échelle du long terme, de quelques années à plusieurs décennies, correspond aux modifications morphologiques comprises entre le mètre et plusieurs kilomètres. C’est, par exemple, le cas de la migration de systèmes chenaux-bancs au sein des passes d’une embouchure, ou de l’édification des flèches sableuses. Les variations climatiques pluriannuelles (variations des états de mer sur plusieurs décennies, du niveau d’eau moyen) expliquent ces évolutions ;
  • l’échelle « géologique », de plusieurs centaines d’années à plusieurs millions d’années, est celle des modifications morphodynamiques agissant sur un bassin jusqu’au plateau continental. Ici les tendances à très long terme, comme les changements climatiques globaux, prennent toute leur importance. Le comblement d’un estuaire, le développement d’un delta, appartiennent à cette catégorie.

Plus l’échelle de temps est longue et l’échelle spatiale étendue, plus le nombre de processus qui agissent sur l’évolution morphologique d’un environnement est important.

Echelles spatiales et temporelles d’action des agents dynamiques sur le littoral et des évolutions morphologiques associées (d’après Cowell et Thom, 1994, modifié)

 

Cet article a été rédigé à partir d’extraits de l’Atlas morphodynamique de la côte sableuse aquitaine :

BRGM et ONF (2018) – Atlas morphodynamique de la côte sableuse aquitaine. Rapport final. BRGM/RP-67152-FR, 280 p., 226 ill., 6 ann.

Consulter le document : http://infoterre.brgm.fr/rapports/RP-67152-FR.pdf

Bibliographie

Barrère P. (1994) – La Forêt Landaise – Editions Privat

Cowell P.J., Thom, B.G. (1994) – Morphodynamics of coastal evolution. In : R. W. G. Carter & C. D. Woodroffe (Eds), Coastal evolution, late quaternary shoreline morphodynamics. Cambridge : Cambridge University Press.

Ministère de l’Ecologie, de l’Energie, du Développement Durable et de la Mer (MEEDDM) (2010)La gestion du trait de côte. Editions Quae, Paris, 304 p.

SHOM (2017) – Références altimétriques maritimes. Edition 2017.

Tastet J-P. et Londeix L. (2002) – Exposition Cap-Sciences « Aquitaine sortie des eaux » http://websites.cap-sciences.net/ase/aquitaine/index.html .

 

Sites internet

http://candhis.cetmef.developpement-durable.gouv.fr/